>> Une minuscule école primaire du nord-est de l’île s’est donnée pour mission de faire de ses élèves des passionnés de l’océan
L’année dernière au mois de juin, les 11 élèves en dernière année à l’Ecole primaire Homei [NDLR : classe de 6e dans le système français] ont célébré la fin des cours d’une façon peu commune : ils se sont embarqués à bord d’un petit bateau qui les a emmenés à quelques encablures de la côte, et là, équipés de leur masque et de leurs palmes, ils ont sauté à l’eau.
Rien d’exceptionnel en réalité pour ces enfants aguerris qui, depuis tout petits, explorent les fonds sous-marins et escaladent les rochers du littoral.
Située près du port de Lungtung, dans le nord-est de l’île, l’école figure parmi les plus petites de l’île, avec ses 2 700 m2 de terrain et ses 55 élèves. Elle abrite pourtant un bassin à poissons de 10 m de long qui lui a été offert par Taipei Sea World, un grand aquarium privé de la capitale, en remerciement pour les nombreuses espèces de poissons qui lui avaient été données par les parents d’élèves.
L’école est nichée contre les impressionnantes parois rocheuses de la côte nord-est, ses fenêtres donnant sur la baie de Lungtung. Les élèves y sont en général issus de familles de pêcheurs. Lorsque les prises sont plus jolies à regarder qu’intéressantes commercialement, elles atterrissent dans le bassin de l’école où les enfants peuvent les observer tout à loisir. Souvent, ils envoient de nouveaux pensionnaires à Taipei Sea World, les deux établissements entretenant une relation symbiotique, en quelque sorte.

L’escalade fait partie du programme scolaire.
Une école dans l’école
Le bassin a vu passer bien des demoiselles des mers du sud et des sergents-majors à queue de ciseaux. On peut aussi y admirer des poissons-ananas et des soles au camouflage exquis qui, enfouies dans le sable, ne trahissent leur présence qu’en ouvrant les yeux. Du fait de la présence d’une colonie de migraines — des crabes de la taille du poing — à l’appétit dévorant, des tunnels secrets et des recoins ont été aménagés dans les fonds du bassin pour que les petits spécimens ne passent pas tout de suite à la casserole…
Non loin de là, dans un coin du minicampus, s’élève le Centre écologique de la côte nord-est qui regorge de fossiles de poissons, ainsi que de crevettes et de crabes naturalisés venant du musée du Crabe du district d’Ilan. Là aussi, ce sont les dons de spécimens intéressants pêchés dans les environs qui ont permis à l’école d’augmenter sa collection.
« C’est la plus petite école de Taiwan, mais elle dispose de la plus grande piscine », dit le directeur Chang Po-chiang [張伯瑲] en faisant un geste de la main vers la mer. Au pied de l’école, en effet, se mêlent les eaux irisées de l’océan Pacifique et de la mer de Chine orientale.
Si, depuis quelques années, les établissements scolaires se gargarisent de grandes déclarations sur leur mission de sensibilisation des enfants aux ressources et à la culture locales, peu d’entre eux ont véritablement intégré cette idée dans leurs programmes. Mais à Homei, tous les élèves, quel que soit leur niveau, bénéficient de classes de découverte qui font progressivement d’eux de sages et ardents défenseurs de la mer, explique Chang Po-chiang.
Ils ne se contentent pas d’étudier les poissons et les crustacés. Dans les petites classes, ils sont encouragés à s’intéresser à la faune et à la flore qu’ils rencontrent sur les laisses de vase et les rochers du littoral, et ils tiennent un journal personnel où ils consignent leurs observations et réflexions. Dans les classes intermédiaires, les élèves s’initient à la pêche et à la vision sous-marine. Et dans les grandes classes, ceux qui savent déjà bien nager poussent l’exploration plus avant en allant en profondeur.

Les élèves sont une dizaine par classe, et l’ambiance est riante et chaleureuse.
L’Ecole primaire Homei est entourée par les formations géologiques étonnantes du cap de Lungtung, et elle propose donc un cours in situ de découverte de la nature, dans les environs, ainsi qu’un cours sur la culture de la pêche — un sujet qui parle à ces enfants de marins.
La classe de « nature » commence par une explication de la géographie et du climat du cap de Lungtung, puis de l’origine de sa topographie et des strates rocheuses qui le composent. Les élèves apprennent aussi à faire des exposés sur les caractéristiques physiques et la biodiversité des lieux. Lorsqu’on leur explique que les falaises de grès de Hsiling, toutes proches, sont non seulement formées dans une roche très dure, mais aussi qu’elles sont apparues il y a 35 millions d’années, ils comprennent mieux le caractère exceptionnel de l’endroit qui est par ailleurs un site d’escalade de classe mondiale. Et on ne s’étonne pas dès lors que le programme comporte aussi des cours de varappe obligatoires.
Les falaises avaient toujours été « terre interdite » pour les enfants de Lungtung, explique Chang Po-chiang, parce que les parents craignaient qu’ils y fassent des chutes fatales. Pourtant, dit-il, savoir nager et escalader les rochers est indispensable pour des gens qui vivent de la pêche ou de la collecte des crustacés et des algues en bord de mer. Il faut donc, pense-t-il, donner aux enfants des compétences qui leur permettent d’éviter les dangers et de se sortir des situations périlleuses, plutôt que de leur interdire certains endroits.
A la croisée des chemins
L’Ecole primaire Homei se situe entre mer et montagne. Sur la piste de randonnée de Lungtung, qui longe l’établissement, un enseignant attire l’attention des enfants sur les plantes qui poussent sur les rochers, la voix presque couverte par le ressac. Ils poursuivent leur progression vers le promontoire du haut duquel ils admireront l’étendue illimitée de l’océan.
Le professeur répond aux questions des enfants sur l’importance de ces eaux poissonneuses, le mouvement des marées, les courants et les routes maritimes qu’empruntèrent leurs ancêtres… Chaque réponse nourrit leur amour de la Grande Bleue.

Les écoliers entretiennent une relation particulièrement intime avec la mer.
Les écoliers se souviennent encore comment, il y a trois ans, ils ont remis à la mer une énorme tortue qui avait été attrapée par un parent d’élève. En effet, voyant qu’elle se lançait désespérément contres les parois du bassin à poissons, ils avaient cherché des informations sur Internet et s’étaient aperçus qu’il s’agissait d’un caret, une espèce protégée. « Quand elle a senti la mer, elle a eu l’air vraiment excitée, elle n’arrêtait pas de battre des pattes. Quand elle s’est jetée à l’eau, ça a fait un gros plouf ! » Il y a fort à parier que cette brève rencontre restera gravée dans leurs esprits et qu’ils en garderont une certaine idée du respect de la nature.
« Pendant les cours de natation, il nous arrive assez souvent de voir des plongeurs avec des fusils à harpon », se désole Chang Po-chiang. Et puis, il y a les gens qui vont à la plage et ramassent tout ce qu’ils trouvent, des coquillages aux algues, et jettent leurs détritus n’importe où. Il espère que lorsqu’ils seront plus grands, les élèves de Homei s’impliqueront dans la protection de l’environnement et qu’ils sauront partager leur connaissance de la mer.
Les devoirs d’abord
Malgré ses faibles effectifs et les revenus souvent limités des parents d’élèves, l’école n’est pas en retard sur le plan des performances scolaires. Plus d’un ancien élève a poursuivi de brillantes études jusqu’à la maîtrise ou au doctorat, certains allant étudier à l’étranger.
Un quart des écoliers sont issus de familles monoparentales ou élevés par leurs grands-parents. Et même lorsque les parents ont les moyens d’inscrire leurs enfants dans une école du soir, la plus proche est à 20 km. L’établissement a donc pris à sa charge l’organisation de classes de soutien ou de surveillance après les cours. Loin de la ville et de ses tentations, les enfants profitent en fait des meilleures conditions d’apprentissage, et leurs notes le prouvent.
Depuis deux ans, l’école s’ouvre au public par l’intermédiaire d’échanges avec d’autres établissements scolaires de l’île pour que les enfants d’ailleurs puissent découvrir eux aussi les formations rocheuses et la vie sous-marine des environs, ainsi que les bassins de culture des ormeaux ou encore apprendre à fabriquer des bijoux avec des coquillages, faire cuire des algues pour en tirer de l’agar-agar et goûter la gelée qu’on produit avec. Mais le maître mot, dit Chang Po-chiang, reste « étudier ».
Avec la beauté de ses panoramas, la richesses de ses fonds sous-marins et ses falaises idéales pour la varappe, Lungtung est aujourd’hui un site touristique populaire qui n’a pas besoin de publicité supplémentaire, dit Chiang Po-chiang en admirant la baie. « Ce que nous devons promouvoir maintenant, c’est la protection des ressources marines. J’espère que la “culture océanique” deviendra une part importante de la vie de nos enfants et que leur intérêt pour la mer ne s’arrêtera pas à ce qu’elle contient de consommable. »